Préface des Éditions de Londres
Le « Supplément au voyage de Cook » est une courte comédie en un acte de Jean Giraudoux publiée en 1935. Elle fut jouée à partir de novembre 1935 dans une mise en scène de Louis Jouvet en lever de rideau de La guerre de Troie n’aura pas lieu.
La scène se passe à Tahiti lors du premier voyage de Cook en 1769. C’est une confrontation ironique entre la morale victorienne et la liberté de mœurs tahitienne. Giraudoux critique sur le mode plaisant la colonisation qui veut imposer son mode de vie aux indigènes alors que ceux-ci vivaient parfaitement heureux.
Le titre de la pièce fait allusion au titre de Diderot Supplément au Voyage de Bougainville.
L’intrigue
Les marins de Cook vont débarquer dans l’île d’Otahiti. Pour éviter des échanges inconvenants avec les indigènes, Mr Banks va rencontrer le chef du village, Outourou. Il lui explique les valeurs de la civilisation anglaise, le travail, la propriété et la morale. À Otahiti, il n’y a pas besoin de travailler car l’abondance règne, la propriété est inconnue et les mœurs sont tout à fait libres. Outourou fait venir sa femme, sa fille Tahiriri et sa tante pour que Mr Banks choisisse celle avec qui il désire passer la nuit.
Mr Banks refuse les femmes mais Tahiriri insiste. Mrs Banks décide de rester la nuit avec son mari pour le surveiller. Elle reçoit la visite du fils d’Outourou, Vaïturou, et elle est aussi sur le point de succomber lorsque revient son mari.
Ils se couchent et dorment profondément à cause du narcotique qu’avait diffusé Outourou.
Les marins peuvent débarquer et les indigènes pourront leur prendre sans crainte leurs boutons dorés.
Le voyage de Cook
Le capitaine Cook était un explorateur anglais qui a fait trois voyages en Polynésie, Australie et Nouvelle-Calédonie de 1768 à 1779. Il en fait le récit dans Relations de voyages autour du monde. Il a effectivement débarqué à Tahiti en 1769 et échangé avec les indigènes. C’est un Tahitien, Tupaïa, qui l’a guidé pour atteindre la Nouvelle-Zélande.
Résumé de chaque scène
Scène I
Cook envoie Mr Banks passer la nuit sur l’île avant que les marins ne débarquent pour fixer les règles des relations entre marins et indigènes.
« Lors de mon passage aux îles Wallis et Hébrides, la précipitation de mon débarquement a nui fâcheusement aux rapports qu’un équipage anglais doit entretenir avec des populations polynésiennes. L’accueil trop empressé de vos femmes, la frénésie qu’inspirent à vos hommes nos boutons d’uniforme, m’ont amené à penser qu’avant de mélanger marins et insulaires, une personne qualifiée doit prendre contact avec vos chefs et les initier, fût-ce sommairement, aux principes sacrés sans lesquels il n’est pas de civilisation. »
Pour impressionner les autochtones, le quartier-maître Solander fait des tours de prestidigitation. Ces tours ne les impressionnent nullement.
L’île s’apprête à recevoir Mr Banks puis les marins. Pour cela, les habitants construisent des cases. Mais voilà, il n’y a pas de lit. Mr Banks explique qu’un lit est indispensable pour distinguer l’homme des animaux.
Scène II
Mr Banks rencontre le chef Outourou qui a fini sa pêche. Mr Banks se présente à Outourou comme on le fait en Angleterre : « C’est à mon entêtement à ne jamais jouer avec les allumettes et à m’éloigner des bassins d’eau bouillante que je dois la sympathie de l’honorable Richard Baseton, principal du collège et grand ennemi de la turbulence, qui, remarquant mon vif amour pour la vie naturelle et la création, me poussa vers l’étude du droit administratif et la préparation des bêtes empaillées. »
Outourou se présente à son tour : « Je commande, par droit d’héritage, dans la mer aux poissons dont les nageoires sont bleues et dans le ciel aux oiseaux dont les ailes sont rouges. Telle est ma vie. »
Scène III
Outourou a fait venir sa femme, sa fille et sa jeune tante pour que Mr Banks en choisisse une pour la nuit. Outourou ne comprend pas pourquoi Mr Banks refuse : « Vous vous moquez ! Que penseriez-vous de moi si je vous laissais passer la nuit dans une case vide ! Ce que je penserais de vous-même si m’accueillant dans votre maison d’Angleterre vous ne m’offriez pas pour la nuit Mrs. Banks ! Ma parole vous choque ? Est-ce que, par hasard, en Angleterre les maris n’offriraient pas leurs femmes aux amis sympathiques ? »
Quand Mr Banks explique que, lorsqu’en Angleterre, on reçoit un ami, le mari n’offre pas sa femme mais dort avec elle, Outourou ne comprend pas : « En quoi l’ami célibataire de Glasgow sera-t-il transporté de joie et de plaisir, du fait que le mari de Birmingham dorme avec sa femme ? Et comment la femme de l’ami de Birmingham aura-t-elle sa conscience d’hôtesse tranquille, du fait qu’elle sera zélée auprès de son mari, alors que l’hôte de Glasgow qu’il s’agit de fêter sera étendu solitaire dans la chambre voisine ? »
Scène IV
Mr Banks tente d’apprendre à Outourou les trois devoirs de l’homme : le travail, la propriété et la moralité.
Outourou explique qu’ils n’ont pas besoin de travailler, les choses viennent naturellement : « Ce serait notre mort, Mr. Banks ! Dès que nous bêchons ici, ou labourons le sol, il devient stérile. Mais nous avons l’arbre à pain ! Si nous y touchons, fût-ce pour l’élaguer, il meurt... Mr. Banks, nous avons eu autrefois, dans l’île, un travailleur. Il allait chercher ses coquillages au large, alors que la côte en est tapissée. Il creusait des puits, alors que tout ruisselle ici de sources. Il détournait les cochons de notre herbe pour les engraisser avec une bouillie spéciale, et les faisait éclater. Tout dépérissait autour de lui. Nous avons été obligés de le tuer. Il n’y a pas de place ici pour le travail. Ce qui importe dans la vie, c’est d’être beau. Notre travailleur était devenu bossu à labourer, bancal à bêcher, rhumatisant à arroser. Il était le plus laid de l’île. Et il ne sentait pas bon. Un liquide sortait de sa peau, que jamais nous n’avions vu couler d’aucun de nous. »
Mr Banks décrit le spectacle édifiant des mineurs de charbon anglais qui ne voient jamais le jour et veut que l’île présente un spectacle analogue quand les marins débarqueront.
Mr Banks aborde ensuite la notion de propriété et Outouron lui explique que tout est à tous. Mr Banks peut prendre s’il le veut les perles et les diamants que porte Outourou. Il peut même prendre le morceau de bois qui vient de l’arbre fétiche. Mr Banks ne perd pas le sens des affaires : « Jamais ! Pour qui nous prends-tu ? Nous ne voulons pas te prendre ton bois ! Les perles et les diamants nous suffiront. Tu nous les donnes ? »
Par contre, quand Outourou lui demande sa lunette d’approche, il lui propose plutôt des tire-bouchons qui sont de vrais trésors.
Mr Banks explique ensuite qu’on peut effectivement se procurer la propriété d’autrui en la volant sans se faire prendre.
Mr Banks aborde ensuite la notion de moralité. Il explique qu’en Angleterre l’homme n’approche une femme que pour avoir un enfant. Aussitôt, Outourou comprend que Mr Banks a choisi sa fille qui veut avoir un enfant et la rappelle.
Scène V
Mr Banks se retrouve avec Tahiriri, la fille d’Outourou. Elle lui explique qu’elle veut avoir un enfant de lui. Devant son refus de la garder, elle lui explique qu’on va la tuer : « Alors, sauvez-moi, Mr. Banks ! Ils vont me tuer, s’ils apprennent votre refus. Je déshonore l’île. N’êtes-vous point prêt à tout pour sauver un être innocent de la mort ! »
Tahiriri, parce que tous les hommes de l’île sont nus, rêve de déshabiller Mr Banks : « Les hommes d’ici sont nus. Mais quelle volupté cela doit être d’enlever peu à peu de Mr. Banks, et dans l’ordre qu’il indiquera, car sinon ma tâche me serait impossible, cet entrecroisement d’étoffes, de courroies, de chaussettes et de jarretières, qui fait de votre corps une énigme. Toute petite, ce que je préférais déjà au monde c’était d’écorcer les acajous... Laissez-moi seulement enlever un de vos souliers, ou bien votre ceinture. »
Tahiriri enlace Mr Banks quand arrive Mrs Banks.
Scène VI
Tahiriri a d’abord du mal à croire qu’il s’agit bien de Mrs Banks : « Une épouse est celle devant qui l’époux se sent plus noble, plus beau, plus fort, celle dont la vue l’incite à la pêche, à la guerre ! De la seconde où vous êtes entré, Mr. Banks s’est voûté, s’est terni. »
Puis, elle demande à Mrs Banks, en pensant à ses enfants, de l’aider à convaincre Mr Banks de lui faire un enfant à elle.
Mrs Banks répond qu’elle n’a pas d’enfant. Tahiriri sort.
Scène VII
Mrs Banks fait une scène de ménage à Mr Banks lui reprochant à nouveau une ancienne incartade vieille de trente ans.
Les indigènes reviennent en chantant des chants d’hyménée. Mrs Banks pense que c’est pour le mariage de Mr Banks et le renvoie au navire.
Scène VIII
Outourou arrive auprès de Mrs Banks lui présentant son frère, son jeune oncle et son fils pour qu’elle choisisse. Ils viennent réparer parce qu’ils se repentent qu’elle n’ait pas d’enfant. Dans l’île, on se repent des malheurs d’autrui même si l’on ne les a pas causés.
Comme Mrs Banks refuse, Outourou pense que c’est parce qu’elle porte en elle le souvenir d’hommes plus beaux : « Si vous et votre mari méprisez ainsi les joies de l’île, c’est qu’il vous suffit de plonger en vous pour trouver des hommes et des femmes plus beaux et plus belles que les nôtres ! Et ils sont par dizaines au fond de vous, ces hommes magnifiques ? »
Mrs Banks ne le contredit pas et les hommes s’en vont.
Scène IX
Vaïtourou, le fils d’Outourou revient. Il veut lutter avec les hommes que Mrs Banks porte en elles. Il parvient à les voir en lisant dans les pensées de Mrs Banks : « Dans l’île ce n’est qu’un jeu de voir ce qui ne se voit pas. Et pourquoi disiez-vous qu’ils sont beaux ? Ils sont beaucoup moins beaux que les hommes de l’île. Le gros à barbiche n’est pas beau ; il a des yeux tendres, mais des poches sous les yeux. … »
Mrs Banks explique à Vaïturou qu’elle préfère garder un souvenir pur de lui qu’elle portera en elle plutôt que de passer la nuit avec lui : « En somme, si je comprends bien, voici le choix que le sort laisse aux femmes blanches : une nuit avec des corps palpables, toute la vie avec des corps invisibles ? »
Vaïturou accepte alors de s’en aller réclamant juste un baiser que Mrs Banks accepte de lui offrir. C’est à ce moment que revient Mr Banks.
Scène X
Mr Banks fait une courte scène à Mrs Banks puis ils se couchent.
Scène XI
Mr et Mrs Banks se sont endormis profondément grâce au narcotique qu’a répandu Outourou.
Outourou explique aux indigènes comment ils devront se comporter avec les marins. C’est ce qu’il l’a compris des explications de Mr Banks : « Vous, les enfants et les vieillards, gardez-vous de demander aux marins leurs boutons et leurs lunettes. Il est un moyen anglais pour se les approprier qui s’appelle le vol. Et vous, nos femmes et nos filles, au lieu d’attendre placidement nos hôtes en costumes de fête, courez au-devant des marins en leur réclamant un enfant, comme l’exige Mr. Banks, et dès qu’ils paraîtront, jetez à terre tout ce qui sur votre corps est inflammable, je veux dire vos vêtements, car les regards des Européens, d’après Mr. Banks, brûlent les femmes, puis entraînez-les, gorgés de vin de palme, dans l’ombre de vos cases où nos voleurs pourront à loisir les soulager discrètement de leurs canifs et de leurs blagues. Tel est l’enseignement dont l’habile Mr. Banks nous a pénétrés en deux heures. Montrez-vous dignes de lui. »
Les marins vont débarquer. L’île est prête à les recevoir.
©Les Editions de Londres